Le portage salarial : travail salarié ou travail indépendant ? Lise Casaux-Labrunée, Professeur à l'université des Sciences sociales de Toulouse, Laboratoire Droit et Changement social, UMR CNRS 6028, Université de Nantes Le « portage salarial », correspond à diverses pratiques qui se développent sur le marché du travail depuis le milieu des années 1980Note de bas de page(1).

Le portage salarial : travail salarié ou travail indépendant ? Lise Casaux-Labrunée, Professeur à l'université des Sciences sociales de Toulouse, Laboratoire Droit et Changement social, UMR CNRS 6028, Université de Nantes Le « portage salarial », correspond à diverses pratiques qui se développent sur le marché du travail depuis le milieu des années 1980Note de bas de page(1). Il met en présence trois types d'acteurs : ? Des professionnels dits « autonomes » disposant en général d'un bon niveau de qualification, que l'on nommera « travailleurs portés » ; ? Des clients : entreprises le plus souvent, mais aussi administrations, collectivités territoriales... ; ? Des « structures de portage salarial » : sociétés le plus souvent, association sou coopératives parfois, qui viennent se placer en intermédiaire entre ces travailleurs et ces clients selon la technique désormais bien connue du « tiers employeur ». Pour en décrire d'emblée le mécanisme, ces acteurs du portage, suivant le scénario le plus souvent observé, entrent en scène de la façon suivante : ? Un professionnel autonome procède seul à une opération de démarchage : il prend contact avec un client, lui « vend » ses compétences et qualifications (conseil, audit, formation, ingénierie, expertise...), et négocie directement avec lui les conditions de son intervention ; ? Une fois la mission décidée, les conditions de l'intervention précisées, le professionnel s'adresse à une structure de portage qui lui offre la possibilité, sans remettre en cause son autonomie, d'exercer la prestation négociée dans le cadre d'un contrat de travail ; ? Lorsque travailleur porté et structure de portage sont d'accord sur les termes et conditions de leur relation « salariale », la structure de portage conclut avec le client un contrat de prestations de services (le plus souvent), portant facturation des prestations effectuées par le professionnel ; les sommes encaissées par la structure de portage seront reversées par la suite au porté sous forme de salaire, après imputation de divers frais et charges : frais de gestion (entre 10 et 15 % du montant HT de la prestation facturée), frais professionnels, cotisations patronales et salariales de Sécurité socialeNote de bas de page(2)... Le client est en général assez discret dans l'opération ; il fait dans un premier temps directement affaire avec le professionnel, et ne se lie en réalité avec la structure de portage, qui n'a parfois aucune activité économique propre, que pour le recrutement et la mise à sa disposition provisoire du professionnel choisi. Pour une première définition fonctionnelle, on présentera le portage salarial comme étant « une technique d'organisation de l'emploi permettant à un professionnel autonome, par le biais d'une structure intermédiaire, d'effectuer des prestations de travail auprès de clients qu'il a lui-même démarchés, sous statut salarié plutôt que sous statut de travailleur indépendant ». Cette technique tout à fait originale, présente la particularité d'offrir un point de rencontre opportun à des exigences, parfois contradictoires, qu'aucune autre formule n'avait jusqu'alors permis de concilier aussi bien : ? Pour les travailleurs portés, le fait de pouvoir exercer leur activité de façon autonome, libéré des contraintes de la subordination, tout en bénéficiant des protections et garanties en principe réservées aux salariés (droit du travail, régime général de Sécurité sociale, assurance chômage) ; ? Pour les entreprises clientes/utilisatrices, le fait de pouvoir bénéficier des compétences d'une main-d'oeuvre qualifiée en évitant les contraintes du droit du travail et les charges du recrutement direct (ce que permettait déjà le travail temporaire). Le portage salarial, qui ne cesse de se développer, intéresse, intrigue, inquiète même... Il intéresse les actifs qui sont, sur le marché du travail, à la recherche de cadres simples permettant de tester ou de développer une activité indépendante sans prendre trop de risques. Il attire ceux qui découvrent là une formule miracle, à grands renforts de médiatisationNote de bas de page(3), qui promet de concilier ce que l'on croyait jusqu'alors inconciliable : l'autonomie, l'indépendance dans le travail... avec toutes les protections du salariat. Il inquiète aussi les pouvoirs publics qui s'interrogent sur l'attitude à adopterNote de bas de page(4) : faut-il condamner ces pratiques qui prennent à l'évidence quelque liberté avec les dispositifs de protection sociale et les règles du droit du travail... ou doit-on seulement les encadrer, n'étant pas exclu que le portage salarial n'ait pas quelque rôle à jouer en matière de politique de l'emploi et de lutte contre le chômageNote de bas de page(5). La principale question soulevée par ces pratiques est évidemment celle de leur légalité, qui est loin d'être acquiseNote de bas de page(6). Le doute pèse spécialement sur la consistance du lien de subordination entre structure de portage et travailleur porté ; il pèse sur la réalité du contrat de travail qui se trouve mobilisé ici de façon tout à fait particulière. Avant de procéder à l'exercice de qualification, qui peut seul permette d'y voir plus clair, une remarque s'impose qui part du constat que le succès actuel du portage repose très largement sur une illusion qu'il vaut mieux rapidement dissiper. Nombreux sont en effet les sites internet ou articles de presse à assurer la promotion du portage en mettant en avant le caractère « magique » de la formule qui permet, de façon totalement inédite, de bénéficier tout à la fois de la liberté du travail indépendant et des protections du salariat : - « Le portage salarial s'adresse à tous ceux qui souhaitent exercer une activité en tant qu'indépendant ou entrepreneur individuel, tout en conservant les avantages du statut de salarié »... ; - « Avec le portage salarial, libérez-vous de toutes les contraintes liées à la création d'une structure juridique et bénéficiez de tous les avantages du statut salarié »... Le portage est souvent présenté comme une formule qui laisse aux professionnels la possibilité de choisir le statut qui leur convient le mieux : il crée pour le travailleur intéressé « l'illusion de pouvoir soit choisir son statut social entre salarié et indépendant quelle que soit la façon dont il exerce son travail, soit disposer pour une même activité de deux statuts dont il ne retiendrait que les aspects intéressants ». Il entretient l'idée selon la quelle chacun peut faire ainsi son « marché social »Note de bas de page(7). La réalité est bien différente. Le droit français ne permet pas de déterminer librement le cadre dans lequel inscrire une relation de travail, indépendamment des conditions dans lesquelles ce travail est effectué. Si un professionnel qui entreprend une activité nouvelle peut choisir de l'exercer sous statut indépendant ou salarié (ce qui suppose néanmoins de trouver un employeur pour l'embaucher)Note de bas de page(8), c'est à condition que l'on retrouve ensuite dans les conditions réelles d'exécution du travail les éléments caractéristiques qui correspondent à chacune de ces situations (lien de subordination pour une relation de travail salariée, indépendance dans les autres cas). On ne peut choisir le lien du contrat d'entreprise si la personne qui travaille se trouve en réalité sous la subordination de celui qui ne devrait être que son client. On ne peut pas en sens inverse, même si cette situation est plus originale, choisir le cadre du contrat de travail si la personne qui exécute la prestation le fait en parfaite indépendance par rapport à son prétendu « employeur », si l'on ne retrouve pas dans cette relation les éléments caractéristiques du contrat de travail. À défaut, la requalification est encourue, le juge ayant spécialement pour mission de « restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux, sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée » (art. 12, al. 2 NCPC). On remarquera que le risque de requalification encouru l'est ici à l'envers des situations généralement rencontrées par le juge en matière sociale. Si le contentieux de la requalification est particulièrement nourri d'affaires où de faux indépendants, souvent anciens salariés du donneur d'ordre, demandent à nouveau le bénéfice des protections du droit du travail (contentieux de l'externalisation), il est plus rare d'avoir à s'interroger sur l'hypothèse inverse de travailleurs dont la qualité de salarié est discutéeNote de bas de page(9). Cette impossibilité de choisir librement le cadre juridique d'une relation de travail résulte du principe bien connu en droit du travail d'indisponibilité de la qualificationNote de bas de page(10) : ? « La volonté des parties est impuissante à soustraire des travailleurs du statut social qui découle nécessairement des conditions d'accomplissement de leur tâche » (arrêt Barrât, assemblée plénière 4 mars 1983)Note de bas de page(11) ; ? « L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elle sont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs » (arrêt Labanne, 19 décembre 2000)Note de bas de page(12), les juges ayant fait preuve ici d'un « opportun réalisme permettant de réagir à un excès d'habileté dans la construction de rapports entre acteurs, très exactement constitutif d'une fraude à la loi »Note de bas de page(13). La solution est exactement la même en droit de la Sécurité sociale où, pas plus qu'en droit du travail, et pour les mêmes raisons d'ordre public, les parties n'ont la possibilité de choisir le régime auquel elles sont assujetties. Là aussi, la qualification donnée par les parties à leur convention est impuissante à les soustraire aux conséquences que le législateur attache à certaines situations de fait, les conditions d'assujettissement au régime général des salariés étant spécialement déterminées par l'article L. 311-2 CSSNote de bas de page(14). La formule du portage n'est donc pas aussi magique que cela et il ne paraît pas sain, en toute hypothèse, d'entretenir l'illusion selon laquelle chacun peut faire ainsi son « marché social », selon l'expression de S. Gilson, en puisant dans chaque statut disponible ce qu'il y a de meilleur. L'analyse présentée ici procède exclusivement à la qualification des relations entre travailleur porté et structure de portageNote de bas de page(15). La question qui guide les développements est plus précisément celle-ci : quelle réalité du contrat de travail dans les pratiques de portage ? Pour y répondre, deux angles de vue sont nécessaires, que le phénomène du portage impose de dissocier : ? Le premier conduit à se demander, ainsi qu'il est discuté le plus souvent, si les travailleurs portés sont de véritables salariés, unis à leur employeur par un authentique lien de subordination, cette qualification étant décisive du statut des professionnels concernés au regard du droit du travail, mais aussi de leur assujettissement au régime général de Sécurité sociale (art. L. 311-2 CSS), du bénéfice de la législation sur les accidents du travail (art. L. 411-1 CSS) ainsi que de l'assurance chômage (art. L. 351-4 C. trav.) ; ? Le second, bien que moins souvent abordé, n'en est pas moins instructif : il porte plus spécialement sur les structures de portage salarial pour se demander si de leur côté, elles peuvent être considérées comme de véritables employeurs. I. - Les travailleurs portés sont-ils de véritables salariés ? Les relations entre travailleur porté et structure de portage salarial sont systématiquement qualifiées par les parties elles-mêmes de contrat de travail Note de bas de page(16). La suspicion pèse pourtant d'emblée sur la qualification donnée par les parties à leur convention : « Les salariés portés incarnent emblématiquement les « faux-salariés » aux yeux de tous ceux qui ne souscrivent pas à l'argumentaire de ses fonctions socio-économiques (soutien à la réinsertion après le chômage, solution de transition pour préparer et tester la viabilité du passage à l'indépendance statutaire, dispositif abri pour la création de très petites entreprises), ou socio-juridiques (invention d'une parasubordination à la française), c'est-à-dire en l'espèce, de formules d'activité autonome, sous l'abri protecteur des garanties sécurisantes offertes via le régime du salariat »Note de bas de page(17). Difficile en effet a priori d'entrer dans la démonstration d'un véritable lien de subordination entre travailleur porté et structure de portage dès lors que ces professionnels sont qualifiés d'« autonomes » par ceux-là mêmes qui s'efforcent de promouvoir la formuleNote de bas de page(18), une affirmation d'autonomie destinée à mieux cibler le public des travailleurs « portables », mais qui semble de toute évidence difficilement conciliable avec les critères classiques du salariat, en dépit des efforts des partenaires sociaux pour démontrer le contraireNote de bas de page(19). Certains accords d'entreprise s'efforcent même de montrer en quoi la définition classique du lien de subordination n'est plus adaptée à l'évolution des formes de travail et des relations professionnellesNote de bas de page(20) : « Traditionnellement, le lien de subordination se caractérise par le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner, le cas échéant, l'inexécution. Cette conception historique du droit du travail résulte de l'observation de relations de travail de type industriel. Mais à l'ère des services et du conseil, du fonctionnement par projets et missions, le contenu et la matérialisation du lien de subordination ne peuvent plus être seulement perçus en termes négatifs, avec l'utilisation de formules telles que donner des ordres, contrôler, sanctionner, etc. En effet, le lien de subordination qui s'établit entre un consultant qui dispose d'une très large autonomie technique, en raison de son niveau de compétences et de son expérience et [la structure de portage] ne peut être analysé au regard de ces critères traditionnels et il est nécessaire de recourir ici à des critères adaptés dont les tribunaux ont déjà montré la voie notamment par la notion de « participation à un service organisé ». À la lecture de ces accords, la question qui semble finalement se poser n'est pas tant de savoir si l'on peut retrouver, dans la situation des professionnels autonomes, les critères classiques du salariat (la réponse est a priori négative), que de savoir jusqu'à quel degré d'autonomie dans l'exécution de la prestation de travail on peut aller tout en restant subordonné... de déterminer la limite à partir de laquelle l'autonomie du professionnel sera telle qu'il ne sera plus possible, raisonnablement, de le considérer comme un salarié. Le critère du service organisé est-il précisé, « ne valide pas le portage salarial en soi, mais permet défaire un distinguo entre les sociétés de portages organisées et les autres : - « les premières accompagnent véritablement le salarié dans ses démarches commerciales, le forment (notamment au marketing du conseil individuel autonome), le conseillent dans l'exercice des missions qu'il remplit, contrôlent son activité par des rapports réguliers d'activité. Elles appliquent des avantages sociaux prévus par une convention de branche étendue ou, encore mieux, en instituent de spécifiques par un accord d'entreprise ; elles ont organisé la mise en place des instances élues et désignées de représentation du personnel, etc. Par ailleurs, elles endossent la responsabilité civile professionnelle de l'activité de leurs consultants. Dans leur cas, il y a manifestement lien de subordination par l'inclusion dans ce service organisé dès lors que les indices de cette organisation sont suffisamment probants ; - les secondes se bornent à transformer des honoraires en salaires et à facturer au salarié porté les frais de gestion de son activité, ce qui ne saurait suffire à constituer un service organisé ». Distinction est ainsi faite, par les professionnels eux-mêmes, entre les structures de portage organisées, qui assurent un véritable encadrement des travailleurs portés, et les autres qui se bornent à faire de la facturation, une distinction, en quelque sorte, entre pratiques « vertueuses » et non vertueuses. Pour rappeler les éléments classiques du débat, on relèvera d'abord que le législateur n'a jamais proposé de véritable et complète définition du contrat du travail. C'est à la jurisprudence que l'on doit l'élaboration de la catégorie, la doctrine ayant contribué à façonner la définition qui fait actuellement référence : « Le contrat de travail est la convention par laquelle une personne physique s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre personne, physique ou morale, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération » Note de bas de page(21). On en déduit habituellement que le critère du contrat de travail réside dans la réunion nécessaire de trois éléments : une prestation personnelle de travail (ou l'engagement de la fournir), une rémunération et un lien de subordination. Cette définition montrera ses limites lorsqu'il s'agira de l'appliquer aux pratiques de portage salarial, illustrant de façon étonnante comment l'imagination des acteurs sur le marché du travail peut mettre à l'épreuve les points de repère les plus sûrs. Elle n'épuise par ailleurs la catégorie « contrat de travail », le Code du travail portant dans son livre VII diverses dispositions qui acceptent la qualification pour des conventions conclues par des professionnels travaillant dans des conditions parfois éloignées de la subordination. La question se pose par conséquent, pour les travailleurs portés qui revendiquent la qualité de salarié, de savoir s'ils peuvent prétendre à une qualification « naturelle » de contrat de travail, qui passe obligatoirement par la démonstration de l'existence d'un lien de subordination (A), ou bien s'ils peuvent, à défaut, bénéficier d'une qualification « artificielle » que seul le législateur peut décider de mettre en oeuvre (B). A - Hypothèse d'une qualification « naturelle » Depuis le célèbre arrêt Bardou (civ. 6 juillet 1931), « La qualification de salarié implique nécessairement l'existence d'un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l'emploie », la convention devant avoir pour effet de placer ce travailleur « sous la direction, la surveillance et l'autorité » de son cocontractantNote de bas de page(22). On sait cependant que cette conception sévère de la subordination a connu de remarquables assouplissements : « La Cour de cassation devait admettre que des sujétions périphériques (de lieu, d'horaires, obligation de rendre compte, etc.), affectant la prestation de travail d'un professionnel nécessairement autonome dans la dimension technique de son activité (médecin ou autre professionnel de santé en vertu des règles de déontologie, artiste, sportif professionnel), suffisaient à constituer un lien de subordination. Elle allait considérer que ce lien se trouvait caractérisé dès lors que la prestation de travail était fournie « dans le cadre d'un service organisé » par le cocontractant bénéficiaire de cette prestation »Note de bas de page(23). On sait aussi qu'en réaction à cette approche particulièrement compréhensive du lien de subordination, le législateur est intervenu en posant la présomption de non-salariat inscrite aujourd'hui à l'article L. 120-3 du Code du travail. Depuis lors, ce sont les formules de l'arrêt Société générale qui dictent les solutions lorsqu'il s'agit de repérer dans une relation de travail un éventuel lien de subordination (Cass. soc. 16 novembre 1996) : ? Le lien de subordination « est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » ; ? Le travail au sein d'un service organisé peut seulement « constituer un indice de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail » Note de bas de page(24). Une fois rappelés les principes généraux, reste à les appliquer à la situation particulière des travailleurs portés. Du point de vue de la méthode, il s'agit de réunir un faisceau d'indices tirés bien moins des stipulations des contrats ou conventions conclus que des conditions de fait dans lesquelles les travailleurs portés exercent leur activité (arrêt Labbane précité), un faisceau destiné à démontrer l'existence du lien de subordination entre les parties et par conséquent, du contrat de travail. Les indices de subordination généralement mis en oeuvre sont connus : comportement des parties, lieu et horaires de travail, le fait de travailler seul ou avec le concours d'autres personnes, la fourniture du matériel et des matières premières, l'existence et les modalités de rémunération, l'existence ou l'absence de direction et de contrôle du travail... Certains sont plus utiles que d'autres pour faciliter la qualification de la situation des travailleurs portés. ? Comportement des parties Lorsque le juge aura à déterminer la nature exacte de la relation existant entre le travailleur porté et la structure de portage, le comportement adopté par les parties aura évidemment son importance. Il s'agira très concrètement de déterminer si la structure de portage se comporte comme un véritable employeur, et si le professionnel porté se comporte comme un subordonné, le fait que les parties se déclarent comme telles ne suffisant pas à établir la réalité des comportements. En matière de portage, certains indices favorisent la qualité d'employeur : ? La signature de contrats de travail, la délivrance de bulletins de salaire, le respect des obligations habituellement liées à la gestion d'une relation de travail salariée ; ? L'immatriculation des travailleurs portés au régime général de Sécurité sociale ; ? Le fait que certaines structures de portage salarial mettent un soin tout particulier à se comporter en employeur (ceci n'est vrai que dans les pratiques de portage les plus élaborées) en cherchant à donner un contenu à la relation de travail (ce qu'attestent certains contrats de travail), en créant des syndicats patronaux (SNEPS, FENPS, UNEPS), en signant des accords collectifs de travail qui densifient les relations entre structures de portage et travailleurs portés (renforcement par exemple de l'obligation de formation), en inscrivant certaines relations de portage dans le cadre de conventions collectives existantesNote de bas de page(25)... D'autres la contrarient : ? Le fait que le « recrutement » ne s'effectue pas en réponse à des offres ou des demandes d'emploi, mais plutôt par publicité, par « promotion » de la technique du portage, ce qui est bien différent ; ? Le fait surtout que la structure de portage, dont on attend qu'elle se comporte comme un employeur, ne soit pas le bénéficiaire final de la prestation de travail ; dans la qualification de contrat de travail en effet, c'est le comportement du bénéficiaire de la prestation de travail qui est important, bien plus que celui de l'intermédiaire. Quant au comportement des portés, la « profonde autonomie » dans laquelle ils réalisent en général leurs prestations (v. supra), est évidemment de nature à contrarier la qualification salariale. ? Lieu et horaires de travail L'autonomie qui caractérise les professionnels portés se traduit spécialement au niveau de leurs conditions de travail. Le lieu d'exécution de la prestation portée est par exemple rarement le lieu d'établissement de la structure de portage, la mission s'effectuant plutôt chez le client ou au domicile du porté. Le fait qu'ils ne soient pas soumis à des horaires de travail déterminés traduit également la grande liberté dont ils jouissent dans l'organisation de leur travail et de leur emploi du tempsNote de bas de page(26). Les professionnels du portage argumentent cependant, dans les accords d'entreprise, en faveur de la compatibilité entre liberté d'organisation du travail et salariat, en invoquant les dispositions de l'article L. 212-15-3 du Code du travail qui ont consacré, depuis la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction du temps de travail, la notion de « salarié autonome ». Est aussi invoqué le fait, lorsque la prestation de travail n'est pas effectuée de façon continue selon un horaire régulier, que la subordination peut aussi résulter de l'obligation de répondre à toute convocation du créancier de cette prestation Note de bas de page(27), parfois prévue dans les contrats ou conventions organisant le portage... sauf à remarquer que, dans le schéma du portage, le créancier de la prestation de travail est bien plus le client de la structure de portage, que la structure de portage elle-même. ? Fourniture de matériel C'est en principe l'employeur qui fournit le matériel, les instruments... nécessaires à l'exécution de la prestation de travail. On observe ici de grandes différences selon les pratiques de portage. Dans les pratiques les plus structurées, les sociétés de portage donnent aux travailleurs portés les moyens matériels de réaliser leurs prestations (ces services leur sont néanmoins toujours « facturés » d'une façon ou d'une autre) : mise à disposition de locaux, outils informatiques, téléphone, secrétariat... la structure de portage devenant parfois un lieu d'accueil et de rencontres où peuvent se tisser des relations constructives entre travailleurs portés. Dans les pratiques les moins structurées, les travailleurs portés doivent être complètement autonomes, y compris pour la fourniture des moyens matériels nécessaires à l'accomplissement de leurs prestations. ? Direction et contrôle du travail Cet indice est très important dans l'analyse classique de la relation de travail salariée : le fait que le travailleur se voit confier des fonctions limitées et contrôlées, qu'il soit soumis à des instructions précises et impératives, qu'il ait une discipline à respecter, qu'il puisse recevoir des ordres... Ce ne sont pas des éléments que l'on retrouve beaucoup dans les situations de portage où, du fait précisément de leur autonomie (aussi bien celle dont ils jouissent d'un point de vue technique que celle qui leur permet d'organiser librement leurs missions et temps de travail), les professionnels portés apparaissent plutôt comme des travailleurs peu dirigés et peu contrôlésNote de bas de page(28). Obligation peut cependant leur être faite, spécialement par accord d'entreprise, de rendre compte de leur activité Note de bas de page(29), une obligation qui peut constituer « un indice particulièrement utile et significatif face aux formes modernes de management par conventions d'objectifs, qui donnent aux travailleurs une large autonomie moyennant l'obligation de rendre compte de l'usage qu'ils en font et qui, loin de faire disparaître la subordination, lui donnent au contraire un nouveau visage »Note de bas de page(30). Si l'on peut peut-être trouver là un argument en faveur de la qualification de salarié des travailleurs portés, il faut néanmoins observer que cette obligation de rendre compte porte bien plus sur le temps de travail consacré à l'activité et sur le volume d'affaires réalisé par les professionnels que sur le contenu technique des missions effectuées. La présence fréquente dans les contrats et accords conclus de clauses d'objectifs n'est d'ailleurs pas sans lien avec cette obligation très particulière de rendre compte. Les auteurs concluent en général que l'absence de réelle direction et de contrôle fait douter que les conventions entre les sociétés de portage et les professionnels dont elles abritent l'activité soient, malgré l'apparence créée, des contrats de travailNote de bas de page(31). ? Intégration de l'intéressé dans un service organisé Le plus souvent avancé par les défenseurs du portage pour montrer la qualité de salarié des travailleurs portés, l'intégration dans un service organisé est l'indice qui paraît a priori le plus à même d'emporter la conviction sur la réalité du contrat de travail conclu avec la structure de portageNote de bas de page(32). Il aurait l'intérêt majeur de régler d'un coup la situation de ces professionnels du point de vue du droit du travail et de la Sécurité socialeNote de bas de page(33), le critère étant mis en oeuvre par la Cour de cassation dans des arrêts relatifs aussi bien à la qualification de contrat de travail qu'à l'assujettissement au régime général (jurisprudences « siamoises » selon l'expression de G. Couturier)Note de bas de page(34). Cependant, divers arguments laissent penser que le critère du « service organisé » n'est pas encore la solution (le sésame !) permettant d'ouvrir sans discussion aux professionnels concernés les portes de la qualification salariale : - l'intégration de l'intéressé dans un service organisé, depuis l'arrêt Société générale, ne constitue plus qu'un simple indice de qualification ; à lui seul, il ne peut constituer une modalité suffisante de subordination ; - le service dans lequel le travailleur porté doit s'insérer pour être considéré comme salarié doit être organisé par le cocontractant bénéficiaire de la prestation de travail... ce que n'est pas la structure de portage salarial ; le professionnel porté exécutant sa mission le plus souvent chez le client, il y a plus de chances, s'il y a intégration dans un service organisé, que ce service soit celui du client, bien plus que celui de la structure de portageNote de bas de page(35) ; - l'arrêt Société générale impose une condition pour la mise en oeuvre du critère, qui ne paraît pas remplie dans les situations de portage : le travail au sein d'un service organisé peut seulement constituer un indice de subordination « lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ». Or en pratique, les conditions d'exécution du travail sont bien plus souvent déterminées par le travailleur lui-même, en accord avec le client, qu'unilatéralement par la structure de portage ; - enfin, le service organisé dans lequel le travailleur porté est censé s'intégrer peut n'être que « virtuel »... certaines structures de portage n'ayant contact avec leurs portés que par voie électronique (via Internet). D'autres indices pourraient être utilisés pour compléter le travail de qualification, mais ils ne peuvent jouer qu'un rôle secondaire par rapport aux signaux forts que constituent la direction et le contrôle du travail effectué, ou encore l'intégration dans un service organisé : - la référence aux risques de l'entreprise (parfois utilisée en droit de la Sécurité sociale) que supporte en principe le travailleur s'il n'est pas salarié ; dans les pratiques de portage les plus avancées (celles couvertes par des accords collectifs), les structures de portage endossent souvent la responsabilité de l'activité exécutée pour leur compte et en prennent le risque financier ; les mêmes souscrivent d'ailleurs le plus souvent une assurance en responsabilité civile professionnelle couvrant l'ensemble des prestations effectuées par leurs travailleurs portés ; - la question des droits sur la clientèle prospectée par les travailleurs portés ; ici, l'indice joue plutôt en sens inverse puisque, même si la question n'est pas toujours clairement réglée, les travailleurs portés sont déclarés assez souvent « propriétaires » de leur clientèle. L'analyse des pratiques de portage salarial à l'aune des indices de subordination classiquement utilisés en jurisprudence lorsqu'il s'agit de qualifier des situations de travail « mixtes » (entre travail salarié et indépendant) se révèle par conséquent relativement défavorable aux travailleurs portés. Ceci ne signifie peut-être pas que l'accès aux règles du droit du travail et à la protection sociale des salariés leur soit irrémédiablement fermé. Ce n'est pas la première fois en effet en droit français que des travailleurs, techniquement autonomes dans l'exercice de leur activité, accèdent aux protections du salariat : les médecins, avocats ou notaires, pourtant tenus à l'indépendance d'un point de vue déontologique, peuvent néanmoins exercer leur activité en qualité de salariés ; les professionnels qui créent leur société en associant des personnes proches et, par répartition optimisée du capital social, se salarient de leur propre structure ; les dirigeants de sociétés parfois autorisés à cumuler contrat de travail et mandat social... La situation des travailleurs portés est-elle assimilable à celle de ces « salariés à subordination limitée » ? Sans doute trouve-t-on en point commun une certaine indépendance technique dans l'exécution des tâches. Cependant, cette autonomie n'exclut pas, dans les cas cités, la soumission des intéressés à des contraintes, d'ordre différent mais réelles, qui bornent d'une façon ou d'une autre la liberté professionnelle des intéressés (contraintes d'horaires, contrôles de l'activité, obligations de rendre compte, limitation des fonctions, etc.). B - Hypothèse d'une qualification « artificielle » Pour les professionnels du portage, être considérés ou non comme de « vrais » salariés importe sans doute assez peu pourvu qu'ils puissent, d'une manière ou d'une autre, bénéficier du régime d'activité correspondant. Par conséquent, si les portés ne parviennent pas à démontrer qu'existe entre eux et la structure de portage un véritable lien de subordination juridique, peut-être faut-il explorer le livre VII du Code du travail pour voir s'il n'existe pas entre leur situation et celle des catégories professionnelles dont il y est question, quelque rapprochement possible. L'étonnant livre VII regroupe en effet diverses dispositions qui montrent la compréhension dont le législateur a parfois fait preuve à l'égard de certaines catégories pour leur permettre de bénéficier de tout ou partie des dispositions du Code du travail (et de la Sécurité sociale correspondante) : sans intervention légale, « le travailleur à domicile aurait été un sous-traitant indépendant, le VRP un mandataire, le journaliste un auteur, l'artiste du spectacle un prestataire de services indépendant »Note de bas de page(36)... Ces dispositions enseignent par conséquent que le législateur peut intervenir, s'il le souhaite, pour traiter comme des salariés des catégories professionnelles qui n'en sont pasNote de bas de page(37). Pour ce faire, deux démarches possibles : ? Soit « forcer » la qualification du contrat : le législateur présume alors que le contrat conclu par tel professionnel à telles conditions est un contrat de travail (journalistes professionnels, artistes du spectacle, mannequins...), parfois de manière irréfragable (VRP) ; cette technique fait des professionnels concernés des salariés à part entière (des salariés « par détermination de la loi »), bénéficiant de l'ensemble des dispositions sociales résultant de la conclusion d'un contrat de travail ; ? Soit « forcer » l'application de certaines dispositions du Code du travail pour des professionnels dont l'activité ne s'exerce pas dans le cadre d'un contrat de travail, mais répond à certaines conditions fixées par le législateur (conditions relatives à la nature et au déroulement de l'activité) ; les professionnels concernés (gérants non salariés, distributeurs ou prestataires de services selon l'article L. 781-1 C. trav., bénéficiaires d'un contrat d'appui au projet d'entreprise...) se trouvent alors régis par un « statut mixte », relevant à la fois du droit du travail et du droit civil ou commercial, une combinaison de régimes qui n'est pas forcément synonyme de simplicitéNote de bas de page(38). Quel que soit le procédé envisagé, encore faut-il, pour bénéficier des faveurs du législateur, montrer en quoi la situation des travailleurs portés (présumés ici travailleurs indépendants), mérite une protection particulière. Retrouve-t-on dans les situations de portage les raisons qui ont conduit le législateur à étendre à des indépendants les protections du droit du travail et de la Sécurité sociale ? L'interrogation conduit tout droit à se demander si les pratiques de portage donnent lieu à des situations de dépendance économique ou de « parasubordination » (travailleurs techniquement indépendants mais économiquement dépendants). N'ayant pas été retenue au titre des éléments caractéristiques du contrat de travailNote de bas de page(39), la notion a peu été conceptualiséeNote de bas de page(40). Il semble néanmoins que ce soit la conjugaison de trois facteurs qui crée la dépendance économique : l'existence d'un lien contractuel ; l'importance de ce lien pour l'existence de l'assujetti ; la permanence ou la régularité des relationsNote de bas de page(41). En pratique, l'idée de dépendance économique semble peu correspondre à la situation des travailleurs portés (les structures de portage l'invoquent parfois au motif qu'elles restent libres d'accepter ou de refuser les missions que leur apportent « sur un plateau » les travailleurs portés). Elle en paraît même relativement éloignée : d'une part, l'économie des conventions de portage repose substantiellement sur l'aptitude du porté à trouver lui-même sa clientèle (le travail leur porté est donc sur tout économiquement dépendant... de lui-même) ; d'autre part, les professionnels portés travaillent rarement à temps complet et sont peu soumis à des clauses d'exclusivité ou de non-concurrence, ce qui leur laisse largement la possibilité de travailler pour d'autres ou selon d'autres modalités que le portage. L'idée de dépendance économique n'explique cependant pas tous les rattachements au salariat effectués par les dispositions du livre VII du Code du travail. Mais la plupart du temps, hors situations de dépendance économique, ce sont des professions entières que l'on rattache au salariat : VRP, assistants maternels, journalistes professionnels, mannequins, artistes... ce qui ne correspond pas non plus au cas du portage, lequel en lui-même ne dit rien sur la profession des personnes qui réalisent les prestations de travailNote de bas de page(42). Finalement, même si la diversité des pratiques interdit toute conclusion de portée générale, lorsque l'on s'efforce d'appliquer aux travailleurs portés les critères qui permettent habituellement d'identifier les salariés, force est de reconnaître, ainsi que l'on s'y attendait, que peu d'indices donnent à ces professionnels une chance d'obtenir « naturellement » la qualification souhaitée. Seule une analyse renouvelée du lien de subordination pourrait peut-être permettre aux défenseurs du portage de parvenir à leurs finsNote de bas de page(43). À moins qu'ils n'apportent au législateur suffisamment d'éléments de nature à convaincre que l'intérêt du portage est tel que tous les professionnels autonomes méritent d'être déclarés salariés « par détermination de la loi », démonstration improbable et encore moins souhaitable en raison des risques liés à pareille solution qui, par sa généralité, conduirait à une sorte de « scénario catastrophe » : développement non maîtrisé des structures « tiers employeur », accélération du phénomène d'externalisation, d'évitement de la fonction patronale par les entreprises, précarisation de l'emploi, déséquilibre pour le moins des comptes sociaux... La situation des portés se distingue au demeurant de celle des « faux salariés » déjà admis dans le giron du salariat, par une différence majeure qui peut selon nous jouer un rôle décisif : en matière de portage en effet, la structure qui se prétend employeur n'est pas le créancier de la prestation réalisée par le travailleur porté (elle en est bénéficiaire puis que son chiffre d'affaires en dépend, mais elle n'en est pas destinataire). Nous ne sommes donc pas dans un lien d'emploi direct, les structures de portage jouant surtout ici un rôle d'intermédiaire entre clients et prestataires, ce qui conduit à porter un tout autre regard sur elles en se demandant spécialement s'il est possible ou non de les considérer comme de véritables employeurs. II. - Les structures de portage sont-elles de véritables employeurs ? Les pratiques de portage salarial reposent sur un mécanisme du type « tiers employeur » qui comporte mise à disposition de travailleurs au profit de tierces personnes, un mécanisme aujourd'hui bien connu que mettent à l'oeuvre, par exception au principe de l'interdiction du marchandage (art. L. 125-1 s. C. trav.), les entreprises de travail temporaire, les groupements d'employeurs, ou encore certaines associations de services aux personnes. À la différence de ces dispositifs, clairement intégrés dans le droit positif, le portage salarial est encore « dans la passe », les représentants de la « profession », par l'intermédiaire spécialement du SNEPSNote de bas de page(44) oeuvrant de façon active pour sa reconnaissance officielle. Un premier pas a été franchi : le « Plan national pour l'emploi des seniors » présenté le 6 juin 2006 par le Premier ministre prévoit spécialement de favoriser le développement de nouvelles formes d'emploi plus particulièrement adaptées aux salariés enfin de carrière, dont le portage salarial : il prévoit à court terme la conclusion d'une convention État/Unedic/Fédérations professionnelles du secteur pour définir à titre expérimental, et préalablement à la diffusion de ce type d'emploi en direction d'un public senior, les pratiques à privilégier ainsi que les droits des personnes concernées. Toute « légalisation » du portage salarial paraît cependant impossible tant qu'il n'a pas été clairement répondu à la question suivante, sans doute la plus « sensible » : les structures de portage sont-elles de véritables employeurs ainsi que l'affirment leurs défenseurs, ou bien ne sont-elles, ainsi que le prétendent leurs détracteurs, que des « chambres de transformation » de travailleurs indépendants en salariés, de prestations de services en contrats de travail, d'honoraires en salaires ? La question peut être posée plus sèchement : le portage salarial doit-il être considéré comme une forme d'emploi innovante, susceptible d'ouvrir une solution nouvelle à des personnes en difficulté sur le marché du travail, ou bien ne constitue-t-il qu'une gigantesque fraudeNote de bas de page(45) ? La variété des pratiques ne facilite pas l'appréhension du phénomène : ? D'un côté, des structures de portage « virtuelles », comme dénuées de réalité physique, quine communiquent avec leurs portés que par voie électronique, via les sites internet, dont on voit mal comment elles pourraient remplir la fonction d'employeur ; ? De l'autre, des structures « militantes » qui font porter leurs efforts sur la consolidation du statut des travailleurs portés, qui accompagnent le porté dans ses démarches commerciales, le forment (notamment au marketing du conseil individuel autonome), le conseil lent dans l'exercice des missions, contrôlent son activité par des rapports réguliers d'activité, lui appliquent les avantages sociaux prévus par une convention de branche étendue ou signent des accords d'entreprise, organisent la mise en place d'instances élues et désignées de représentation du personnel, endossent la responsabilité civile professionnelle résultant de son activitéNote de bas de page(46). Pour cette raison, il ne paraît pas inutile, avant de s'interroger sur leur qualité d'employeur, de se demander si ces structures de portage sont toujours de véritables entreprises. A - Sont-elles toujours de véritables entreprises ? La notion d'entreprise, d'un point de vue juridique, est aussi fréquemment utilisée qu'« insaisissable »Note de bas de page(47). D'un point de vue économique, on peut l'approcher à l'aide de deux éléments : - L'existence d'une direction qui décide des orientations, qui répartit les tâches, qui coordonne l'ensemble des moyens matériels et humains concourant à la réalisation de l'objectif commun... - L'exercice d'une activité : production, distribution, prestations de services... Il n'est pas certain, au regard de ces deux critères, que toutes les structures de portage méritent la qualification d'entreprise. Le premier soulève déjà un certain nombre de difficultés liées au fait que les travailleurs portés exécutent le plus souvent leurs missions dans la plus grande indépendance, comme des travailleurs indépendants. On ne retrouve pas, dans nombre de ces structures, l'organisation hiérarchique qui fait en général la marque de l'entreprise. Le second appelle aussi de nombreuses interrogations, la qualité d'employeur étant subordonnée à l'exercice préalable d'une activité spécifique, économique ou sociale... qui n'existe pas toujours en matière de portage, sauf à considérer la seule fonction d'employeur « administratif » comme une véritable activité, et à la supposer licite. Il est donc essentiel de se demander en quoi consiste précisément l'activité des structures de portage salarial, de s'interroger sur l'objet de cette activité et sur sa licéité. Les acteurs du portage « militant » se défendent d'exercer une activité spécifique (se défendent de vouloir faire du portage un « métier »), par une formule-type que l'on trouve retranscrite dans de nombreux accords collectifs : « Les parties rappellent que le portage salarial ne correspond pas à une activité spécifique, mais à un mode d'organisation de société qui permet à des personnes (« consultants ») d'exercer une activité autonome de prestations intellectuelles (audit, conseil, expertise, communication ou formation) sous statut salarié » Note de bas de page(48). On peut s'interroger sur les raisons d'une telle affirmation, et penser qu'il s'agit là d'une sorte de « bouclier » destiné à repousser les agressions de ceux pour qui les pratiques de portage ne sont que des montages frauduleux, condamnables notamment au titre du prêt de main-d'oeuvre illicite ou du marchandageNote de bas de page(49). On comprend alors, si telle est l'explication, qu'il vaut mieux essayer, pour éviter la condamnation, de fondre l'activité de portage dans une activité économique classique et la présenter plutôt comme un « mode particulier d'organisation de société ». C'est de fait ce que font aujourd'hui la plupart des structures de portage qui s'identifient comme tellesNote de bas de page(50). Parfois, la présentation de leur activité par les structures de portage est plus maladroite, au point que l'on ne sait plus très bien, à trop vouloir en expliquer le mécanisme pour le légitimer sans doute, à qui elle est destinée. On se demande par moments quelle est la « cible commerciale » des sociétés de portage qui semblent rendre finalement deux séries de services : les uns aux clients pour qui sont réalisées les prestations (sous forme de prestations de services classiques), les autres aux professionnels qui les exécutent (service plus original d'« employeur administratif », mais dont la licéité est discutée). Le rapprochement est en tout cas inévitable avec les entreprises de travail temporaire dont l'activité consiste à « mettre à la disposition provisoire d'utilisateurs, des salariés qu'en fonction d'une qualification convenue elle(s) embauche(nt) et rémunère(nt) à cet effet » (art. L. 124-1 C. trav.). De ce point de vue, si n'était la considération que les entreprises de travail temporaire sont en principe les seules à pouvoir développer ce type d'activité, par exception à l'interdiction du marchandage et du prêt de main-d'oeuvre lucratif (et à condition d'admettre que les travailleurs portés sont des salariés), on aurait bien du mal à distinguer les deux... sauf par des différences de régime, celui du travail temporaire étant plus contraignant (limitation des cas de recours, type de contrat imposé, durée de contrat limitée, etc.), ce qui pose une nouvelle fois la question de la licéité de l'activité de portage salarial et de la concurrence, éventuellement déloyale, faite aux entreprises de travail temporaire par ces structures dont la qualité d'employeur a, au demeurant, de sérieuses raisons d'être discutée. B - Sont-elles réellement « employeurs » ? Pour l'heure, les professionnels du portage qui font pression sur les pouvoirs publics pour le voir consacré par le législateur et sortir de l'insécurité juridique dans laquelle ils développent leur activité, s'efforcent de démontrer, de façon plus ou moins inspirée, que les travailleurs portés sont des salariés... très autonomes certes, mais salariés néanmoins, par comparaison avec d'autres situations comme celle par exemple des avocats salariés. Ils s'efforcent également, ce qui est plus nouveau, de se positionner comme de véritables employeurs, pour ne pas apparaître exclusivement comme des « tiers employeurs », et sortir du simple rôle d'intermédiaire entre clients et prestataires de services. Seulement, il ne suffit pas d'affirmer sa qualité d'employeur pour en être doté. Seulement, il ne suffit pas d'affirmer sa qualité d'employeur pour en être doté. C'est l'existence d'un contrat de travail qui donne aux parties les qualités d'employeur et de salarié, et qui rend applicables à leur relation les dispositions correspondantes du droit du travail et de la protection sociale. Pour déterminer si les structures de portage sont de véritables employeurs, force est donc d'en revenir au contrat de travail. L'analyse sous l'angle du droit du travail, qui invite à se demander si les travailleurs portés sont de vrais ou de faux salariés, a déjà été menée. C'est celle-là en effet qui est généralement conduite ; elle mène à la conclusion que peu d'indices permettent à ces professionnels d'espérer la qualification souhaitée (v. supra). L'analyse sous l'angle du droit des obligations est plus rarement menée ; elle est pourtant riche d'enseignements et permet de rappeler certaines évidences : - que le contrat de travail est synallagmatique et à titre onéreux ; - qu'il met à l'oeuvre un certain nombre d'obligations à la charge de l'une et l'autre des parties, dont certaines sont « essentielles » (obligations qui touchent à l'essence même du contrat et lui font perdre sa qualification si elles ne sont pas clairement observées)Note de bas de page(51) ; - que les obligations essentielles du contrat de travail ne sont pas seulement l'obligation pour le salarié de mettre sa force de travail à disposition de l'employeur et l'obligation pour l'employeur de le rémunérer ; - que la relation employeur/salarié comporte une autre obligation essentielle, rarement évoquée (parce trop évidente ?), première entre toutes pourtant puisque sans elle le contrat de travail n'a plus raison d'être... Cette obligation, c'est celle de fournir le travail à exécuter, et elle pèse évidemment sur l'employeurNote de bas de page(52). Or, ce n'est pas ce qui s'observe en matière de portage. Le plus souvent en effet, c'est le travailleur lui-même qui fournit la prestation à exécuter. De façon générale, lorsqu'un travailleur désire être « porté » par une structure qu'il sollicite à cet effet (pour bénéficier d'un contrat de travail et des droits qui y sont attachés), l'essentiel est fait : la prestation de travail à exécuter est définie, et ses conditions en ont été précisées par le travailleur lui-même en contact direct avec « son » client, indépendamment de la structure de portageNote de bas de page(53). Ce qui caractérise avant tout un travailleur « portable », c'est son autonomie dans la recherche de missions, son aptitude à trouver son propre travail (comme un travailleur indépendant), et cette aptitude, paradoxalement, constitue sans aucun doute le meilleur gage pour être « recruté » par une société de portage. En pratique, on observera d'ailleurs souvent que lorsque le travailleur porté ne trouve plus de missions, son « contrat de travail » s'arrête très vite, qu'il s'agisse d'un contrat à durée déterminée, dont la durée a précisément été calquée sur celle de la mission, ou qu'il s'agisse d'un contrat à durée indéterminée qui laissera éventuellement au porté dés oeuvré quelques jours supplémentaires pour trouver une nouvelle mission, mais qui donnera lieu le plus souvent, et rapidement, à un licenciement fondé sur le non-respect d'une clause d'objectifs opportunément introduite dans le contratNote de bas de page(54). Le travailleur porté, finalement, a pour particularité essentielle de pouvoir se passer de cet « employeur » très particulier qu'est la structure de portage pour faire le plus difficile : trouver un travail qui corresponde à ses attentes... le reste n'étant que gestionNote de bas de page(55). De ce point de vue, force est de reconnaître que certaines structures de portage constituent de bien curieux « employeurs »... qui ne proposent pas de travail (contrairement aux entreprises de travail temporaire), qui ne fournissent pas d'instruments de travail, qui n'ont aucun moyen de contrôler l'exécution du travail effectué, etc. La fonction de ce « tiers intervenant » est alors à rechercher ailleurs que dans l'exécution d'un contrat qui ne peut, pour ces raisons, être sérieusement qualifié de contrat de travail. Quitte à rappeler une évidence, l'économie du contrat de travail veut que ce soit l'employeur qui apporte dans la négociation du contrat la masse de travail à exécuter ? (c'est bien pour faire face à cette charge travail qu'il procède à un recrutement). Il n'est pas, selon nous, de l'essence du contrat du travail que le salarié entre dans la relation en apportant le travail qu'il doit y effectuer... de surcroît au profit d'un tiersNote de bas de page(56). C'est ici que la mesure de l'illégalité des pratiques de portage salarial est, selon nous, la plus forte : l'« employeur » qui ne fournit pas de travail, et qui de surcroît, se sépare de son « salarié » lorsque celui-ci n'apporte plus de travail (!)... ne peut être considéré comme un véritable employeur. Reste à préciser le fondement de cette illégalité. Le fondement le plus sûr (outre la contestation de la réalité du contrat de travail sous l'angle de l'inexistence du lien de subordination, v. supra), repose certainement sur la notion de cause qui paraît la plus à même de « dénouer » la relation entre structure de portage et travailleur porté. Quelle est la cause du contrat de travail (au sens de cause finale) ? Quel est l'objectif poursuivi par les parties lorsqu'elles se lient ? Au bas mot, la réalisation d'une prestation de travail rémunérée. Plus précisément, la rencontre entre une offre et une demande d'emploi que le contrat de travail vient spécialement consacrer lorsque le travail doit être exécuté de façon subordonnée. A défaut d'offre, aucune rencontre ne peut évidemment avoir lieu. Le contrat de travail, instrumentalisé dans nombre de pratiques de portage, encourt par conséquent un risque fort de nullité pour défaut de cause ou pour cause illicite (sur le fondement des articles 1108 et 1131 C. civ.), une nullité absolue dès lors que l'on touche à des dispositions d'ordre public : - nullité pour défaut de cause dès lors que l'« employeur » n'exprime pas une demande de travail, dès lors qu'il n'offre pas d'emploi : manque alors l'obligation essentielle, première même, du contrat de travailNote de bas de page(57) ; - nullité pour cause illicite dès lors qu'il sera établi que la structure de portage spécule sur le travail d'autrui, en infraction aux règles d'ordre public interdisant le prêt de main-d'oeuvre à but lucratif ou le marchandage (art. L. 125-3 et L. 125-1 C. trav.). Le principe Fraus omnia corrumpit pourra certainement aussi étayer diverses argumentations, l'adage pouvant le cas échéant se dispenser de texte spécial pour asseoir une condamnation. Il s'agira alors de montrer que l'opération contractuelle à laquelle se sont livrées les parties, n'a d'autre finalité que de contourner les règles de droit positif pour procurer à l'un des contractants des avantages auxquels en principe il ne pouvait prétendre (bénéfice du régime d'assurance chômage, ou d'un régime particulier de retraite complémentaire), de montrer que l'activité de la structure de portage consiste seulement à opérer novation frauduleuse en contrats de travail, de contrats d'une autre nature appelant a priori un régime moins favorable. Des textes spéciaux pourront cependant fonder certains recours : ? L'article L. 365-1 du Code du travail qui condamne spécialement la fraude à l'assurance chômage au titre du travail illégal ; ? L'article L. 241-8 du Code de la Sécurité sociale qui impose que les cotisations patronales de Sécurité sociale restent exclusivement à la charge de l'employeur, « toute convention contraire étant nulle de plein droit »Note de bas de page(58); il ne sera guère difficile dans ce cas (en lisant les conventions d'adhésion aux structures de portage, ou encore en regardant les écritures comptables) de montrer comment ces structures procèdent au calcul du salaire net du travail leur porté à partir du montant d'honoraires HT négocié par lui avec le client (montant d'honoraires que celui-ci aurait entièrement perçus s'il avait travaillé en indépendant et non en se faisant porter par la structure de portage). Il paraît évident alors, d'un point de vue juridique en tout cas, que les charges salariales et patronales sont supportées par le travailleur porté qui paie ainsi bien cher sa protection sociale, sans doute plus cher même qu'un travailleur indépendantNote de bas de page(59). En revanche, la définition du contrat de travail habituellement prise pour référence (« convention par laquelle une personne physique s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre personne, physique ou morale, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération »)Note de bas de page(60), risque en l'état de ne pas être d'un secours suffisant pour démontrer, le cas échéant, que le contrat conclu entre le porté et la structure de portage n'est pas un vrai contrat de travail. Dès lors qu'elle omet de mentionner l'obligation première, sans laquelle pourtant aucun contrat de travail ne peut être (obligation pour l'employeur de fournir le travail), cette définition réduit, ramène systématiquement l'analyse des relations entre porté et structure de portage à la vérification de l'existence entre eux d'un lien de subordination (la prestation et la rémunération n'étant généralement pas discutées), ce à quoi cette analyse ne peut se limiter. Mise à l'épreuve des pratiques que le marché du travail donne à voir de plus en plus, entre travail salarié et travail indépendant, la définition classique du contrat de travail apparaît soudainement incomplète... comme ayant omis l'essentiel, sans doute trop évident : c'est à l'employeur qu'incombe l'obligation première de fournir le travail. Peut-être le juge entreprendra-t-il, à l'occasion du contentieux qui se développe, de retoucher l'édifice qu'il a lui-même façonné, pour permettre à la notion de contrat de travail de mieux faire face à l'évolution de ces formes d'emploi « mixtes » qui perturbent la ligne, de plus en plus hésitante, entre travail salarié et travail indépendant. Il suffirait finalement, pour une proposition de redéfinition (légère), de dire ou d'écrire désormais que « le contrat de travail est la convention par laquelle, moyennant une rémunération, une personne physique s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre personne, physique ou morale, qui lui fournit un travail à exécuter sous sa subordination ». Le critère du contrat de travail pourrait alors résider dans la réunion nécessaire non plus de trois, mais de quatre éléments : - la fourniture d'un travail par l'employeur ; - une prestation de travail fournie par le salarié (ou l'engagement de la fournir) ; - une rémunération ; - un lien de subordination, que cette redéfinition du contrat de travail permettrait sans doute de « resserrer » quelque peu, pour exclure de façon générale de son champ l'ensemble les professionnels dont l'autonomie ne se limite pas à l'exécution de tâches confiées par l'employeur, mais va jusqu'à l'apport de clientèle, des salariés si peu subordonnés que ce sont eux qui apportent finalement le travail à leur « employeur »Note de bas de page(61). Conclusion Le portage salarial repose pour le moins sur des bases juridiques fragiles. Pour l'instant, il n'a pas donné lieu à un contentieux très abondant, ce dont il n'y a pas lieu de s'étonner, chaque partie trouvant assez bien son compte dans la formuleNote de bas de page(62). L'hypothèse de différends entre porté et structure de portage ou client n'est cependant pas à exclure, la formule n'étant intéressante pour les parties que tant que rien ne vient perturber leurs prévisions. Si le portage est une pratique risquée pour ceux qui s'y livrent, le risque pèse cependant bien plus sur les portés eux-mêmes qui ne bénéficieront pas le moment venu des protections auxquelles ils pensaient accéder (en matière d'assurance chômage par exemple) que sur les structures de portage (la grande majorité des sociétés qui le pratiquent ne se déclarant pas en tant que telles)Note de bas de page(63) ou sur les entreprises utilisatrices qui pourront toujours se retrancher derrière le fait qu'elles ont conclu de banales prestations de services avec des sociétés dont elles ignoraient l'activité réelleNote de bas de page(64). La conclusion condamne-t-elle purement et simplement la technique du portage salarial ? Pas forcément. Si la formule est viciée en son principe, si elle contrarie sérieusement le droit positif, elle n'est peut-être pas à vouer entièrement aux gémonies. Il arrive en effet que certaines pratiques juridiquement « déviantes » sur le marché du travail (par rapport à l'état du droit positif à un moment donné) viennent souligner des insuffisances de la législation du travail (le manque par exemple d'un cadre juridique adapté pour les professionnels indépendants qui travaillent de façon intermittente ou à temps partiel), ou des inégalités (le fait par exemple que le niveau de protection sociale de chacun dépende encore substantiellement de l'activité professionnelle qu'il exerce, même face aux risques de l'existence qui touchent chacun de façon égale et ont peu à voir avec le statut professionnel). Peut-être, peut-on considérer sous cet angle que les pratiques de portage sont la réponse, en quelque sorte perverse, à des imperfections de notre droit positif. Peut-être, soulignent-elles aussi la dynamique insuffisante des politiques de l'emploi lorsqu'il s'agit de favoriser la création des petites entreprises, lorsqu'il s'agit de réduire le coût des charges sociales qui pèsent sur les travailleurs indépendants « solo » (que sont souvent, de fait, les travailleurs portés), ou encore de simplifier les formalités de constitution et de gestion de ces petites structures. C'est toute l'ambiguïté du portage salarial qui donne lieu à des pratiques largement illégales, lesquelles méritent par conséquent condamnation... mais qui ont peut-être une utilité, économique ou sociale, que les partenaires sociaux n'ont pas encore, de notre point de vue, suffisamment démontréeNote de bas de page(65). C'est en ce sens, à condition d'être limité et scrupuleusement encadré, que le portage peut peut-être jouer un rôle dans les dispositifs de lutte contre le chômage, spécialement celui des « seniors », contraints désormais de travailler jusqu'à un âge assez avancé pour s'ouvrir des droits à retraite suffisants, mais souvent pris en étau entre les hésitations des employeurs à les embaucher et la création d'entreprise qui les effraie plus qu'elle ne les attire. Une intervention législative sera certainement nécessaire, ne serait-ce que pour tenter de contenir un phénomène qui prend chaque jour plus d'ampleur, en dépit de son insécurité juridique. Mots clés : CONTRAT DE TRAVAIL * Portage salarial * Qualification * Travail salarié * Travail indépendant * Lien de subordination * Portage salarial (1) Près de 200 sociétés, la plupart référencées dans le Guide du portage salarial, se disputent aujourd'hui le « marché » du portage, évalué à environ 200 millions d'euros annuels de chiffre d'affaires, portant quelque 13000 salariés en équivalent temps plein. Ces estimations ne prennent pas en compte les sociétés, SSII en tête, qui pratiquent le portage sans le dire. S. Béchaux, « Les leaders du portage salarial en quête de respectabilité », Liaisons sociales magazine, novembre 2006. (2) Si la mission a été menée jusqu'à son terme et qu'aucun incident n'est venu contrarier les relations ainsi nouées, le montant du « salaire net » perçu par le travailleur porté sera égal à un peu moins de la moitié du montant de la prestation HT négociée avec le client (exemple : pour un montant de prestations de 10 000 ? HT, le porté percevra un salaire net d'environ 4 000 ?). La « déperdition » de ressources est par conséquent relativement importante. (3) « Portage salarial : l'indépendance protégée », Courrier Cadres 13 mars 2003 ; « Indépendants et salariés à la fois », Le Monde Initiatives, 6 nov. 2003 ; « Portage salarial : le grand saut sans les risques », Le Journal du Management, 24 sept. 2003 ; « Solitaires sans galère », L'Express, 28 mars 2005... (4) Ces développements sont extraits d'une étude plus vaste réalisée par une équipe de chercheurs de l'université de Nantes (sous la direction de L. Casaux-Labrunée), et financée par le ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement (« Analyse et évaluation des pratiques de portage salarial : étude juridique », par K. Barragan, L. Casaux-Labrunée, J.-P. Chauchard, A.-S. Hocquet de Lajartre, J.-Y. Kerbourc'h). Les mêmes pratiques ont fait l'objet simultanément d'une étude socio-économique réalisée par l'École des Hautes études en sciences sociales (EHESS) sous la direction de P.-M. Menger. (5) M. Glorieux, « Le « portage salarial », un objet juridique non identifié dans le ciel du droit du travail ? » in « Le portage salarial : mise à disposition, sous-traitance ou intérim ? », Actes de l'après-midi d'étude organisé le 26 novembre 2004 par le groupe droit social de l'UCL Bruxelles, éd. Kluwer, 2005, 121 p. (6) Question récemment troublée par l'annonce un peu rapide dans la presse, à la suite de l'adoption par le Parlement du dispositif du « travail à temps partagé » d'une prétendue « légalisation » du portage salarial: « Le portage salarial maintenant légalisé », Les Échos 21 septembre 2005, par H. Flichy. Ce dispositif du « travail à temps partagé » (art. L. 124-24 à L. 124-32 C. trav., issu de l'article 22 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises), crée une nouvelle catégorie d'entreprises « dont l'activité exclusive consiste à mettre à disposition d'entreprises clientes du personnel qualifié qu'elles ne peuvent recruter elles-mêmes en raison de leur taille ou de leurs moyens ». Dans les pratiques le plus souvent observées, les clients choisissent le portage pour éviter le recrutement direct mais non parce que leur taille ou leurs moyens les en empêchent, ce qui les met hors du champ d'application de ce nouveau dispositif, par ailleurs incomplet et fort mal fait. P.-Y. Verkindt, « Le travail à temps partagé ou pourquoi faire simple quand... », JCP S 2005, 1118. (7) S. Gilson, « « Portage salarial » et lien de subordination : entre faux-salariat et fausse indépendance ? », in « Le portage salarial : mise à disposition, sous-traitance ou intérim ? », op. cit. (8) Difficulté à l'origine du portage puisque le professionnel autonome se trouve d'abord face à un interlocuteur qui a besoin de ses services mais ne souhaite pas l'embaucher, ce qui le conduit vers la structure de portage qui va proposer de l'embaucher sans avoir besoin sur le fond de ses services. (9) Le cas de figure étant relativement inédit en droit du travail, on ne sait pas très bien, dans l'hypothèse d'une « disqualification » du contrat de travail, quelle serait la qualification de remplacement proposée par le juge : ? Contrat de travail requalifié en contrat d'entreprise (salarié requalifié en indépendant, pour effectuer à un autre titre la prestation demandée par le client à la SPS, ce qui rapprocherait l'ensemble d'un contrat de sous-traitance) ? ? Contrat de travail requalifié en mandat, le porté reconsidéré comme un travailleur indépendant/mandant chargeant la structure de portage/mandataire de conclure en son nom et pour son compte un contrat de prestation de services avec le client ? ? Contrat de travail disqualifié en relation de fait et requalification du contrat d'entreprise conclu entre le client et la SPS en contrat de mandat (structure de portage salarial requalifiée en mandataire, chargée par le client/mandant de conclure un contrat de travail avec le porté en son nom et pour son compte, sur le mode de fonctionnement des associations de services aux personnes) ? Quelle que soit la nouvelle qualification retenue, la question de la charge des cotisations de Sécurité sociale devra être reposée. (10) Le droit du travail diffère ici du droit des contrats civils et commerciaux où habituellement, lorsqu'il s'agit de qualifier une convention litigieuse pour déterminer son régime juridique, le juge analyse la convention, interprète la volonté des parties, recherche ce qu'elles ont réellement voulu (au-delà de ce qu'elles ont pu exprimer) et respecte cette volonté dès lors qu'elle n'est pas frauduleuse. Ici, la volonté des parties importe peu ; seules comptent les données objectives, les conditions effectives d'exercice de l'activité ; le principe de réalité prime sur celui de la liberté contractuelle, au nom des considérations d'ordre public qui font la marque particulière du droit du travail. (11) D. 1983. 381, concl. J. Cabannnes. (12) « Grands arrêts du droit du travail », 3ème édition, Dalloz 2004, n° 3 ; Dr. soc. 2001. 227, note A. Jeammaud. (13) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, « Droit du travail », 22ème « édition, Dalloz 2005, n° 120, p. 186. Il n'est pas sûr cependant que le principe d'indisponibilité de la qualification pèse de façon égale sur tous les « côtés » de la relation de travail portée. Le principe vaut certainement pour tous les aspects de la relation où le professionnel autonome est directement impliqué. En revanche, entre la structure de portage salarial et le client, s'agissant le plus souvent d'une relation de nature commerciale, il y a tout lieu de penser que le principe de la liberté contractuelle retrouve ses vertus et que les parties soient libres d'aménager leur relation comme bon leur semble, dans la limite cependant des interdictions du marchandage (art. L. 125-1 C. trav.) et du prêt de main-d'oeuvre illicite - exclusif et à but lucratif (art. L. 125-3 C. trav.). Pour un exemple récent, v. Cass. soc. 17 juin 2005, JCP (S) 2005, n° 12, 1151. Un tel raisonnement suppose cependant de pouvoir isoler et considérer séparément chacune des relations particulières qui forment, une fois réunies, l'opération complète de portage. On est alors amené à se demander si le portage salarial opère une réunion de contrats parfaitement dissociables, ou s'il peut s'analyser comme un ensemble contractuel associant des contrats unis par une identité de cause, au sens de but commun (il s'agira dans ce cas de mesurer l'incidence de la nullité ou de la résolution d'un contrat sur les autres). (14) J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto, R. Lafore, R. Ruellan, « Droit de la Sécurité sociale », 15ème édition, Dalloz 2005, n° 598 s. Pour un exemple récent, voir Cass. 2ème civ. 14 septembre 2006 (3 arrêts), RJS 11/06 p. 899 (à propos d'une infirmière libérale qui se voit refuser l'assujettissement au régime général du fait de l'inexistence d'un lien de subordination avec l'association qui la rémunérait). (15) Pour une étude des relations entre client et structure de portage, v. dans ce même numéro, l'article de J.-Y. Kerbourc'h, « Le portage salarial : prestation de services ou prêt de main-d'oeuvre illicite ? ». (16) Dans les pratiques les plus élaborées, travailleur porté et structure de portage se lient également par une convention nommée selon les cas : « convention de partenariat », « convention d'adhésion », « convention d'affiliation »... qui a pour objectif de définir le cadre des relations futures, de préciser les modalités d'hébergement de l'activité du professionnel au sein de la structure de portage salarial. Cette sorte de convention cadre déroule ses effets parallèlement au (x) contrat(s) de travail (le plus souvent CDI intermittents ou à temps partiel, ou succession de CDD), et organise les modalités de la collaboration entre les parties en prévoyant la durée de la convention (en général à durée indéterminée), une éventuelle clause d'exclusivité, les modalités de détermination des frais de gestion, les modalités de versement du salaire, les modalités de remboursement des frais, une assurance responsabilité civile professionnelle, les textes conventionnels applicables... J.-Y. Kerbourc'h, « Nature et régime juridique du contrat par le quel un travailleur adhère à une entreprise de portage », in « Le portage salarial : mise à disposition, sous-traitance ou intérim ? », op. cit. (17) P.-M. Menger (dir), « Analyse et évaluation des pratiques de portage salarial : étude socio-économique », EHESS, Centre de sociologie du travail et des arts, 2006. (18) L. Coquelin, « Réseau des professionnels autonomes : un chantier de la CFDT. Les professionnels autonomes », Cadres CFDT n° 395, avril 2001. (19) Les accords d'entreprise conclus dans le secteur du portage (une quinzaine à l'heure actuelle, essentiellement signés avec des représentants de la CFDT), abordent pratiquement tous cette question du lien de subordination. Souvent bâtis sur une même trame, ils font la distinction entre « collaborateurs fonctionnels » des structures de portage (qui assurent les fonctions administrative, financière, juridique, informatique...) et « collaborateurs opérationnels » (id est les travailleurs portés) qui assurent la relation clientèle et ont une fonction à la fois commerciale et productive. Pour ces derniers, est-il souvent indiqué, le lien de subordination est avéré mais s'exerce « dans des conditions de profonde autonomie » (accords d'entreprise UES ITG, UES JAM, UES Ad'missions, Access Étoile, Aclys Concept...). (20) Accords d'entreprise UES ITG, Access Étoile... (21) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, « Droit du travail », 22ème édition, Dalloz 2004, n° 117. (22) « Grands arrêts du droit du travail », 3ème édition, Dalloz 2004, n° 1. (23) J. Pelissier, A. Supiot, A. Jeammaud, « Droit du travail », 22ème édition, Dalloz 2004, n° 121, p. 183. (24) « Grands arrêts du droit du travail », 3ème édition, Dalloz 2004, n° 2 ; J.-J. Dupeyroux, « À propos de l'arrêt Société générale », Dr. soc. 1996, 1067. (25) Comme par exemple la convention SYNTEC (convention collective nationale des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils, sociétés de conseil). (26) Dans des situations comparables, il a déjà été jugé que ne pouvaient être liés par un contrat de travail des professionnels auxquels aucun horaire n'était imposé (vendeurs de journaux, porteurs aux Halles, conseillers...). (27) CA Versailles 10 juin 1999, RJS 10/99, n° 1349. (28) V. néanmoins CA Chambery 23 sept. 2003, Assedic des Alpes c/ Bertrand, qui reconnaît l'existence d'un lien de subordination hiérarchique entre un travailleur porté (moniteur de rafting) et une société engagée dans l'insertion de personnes justifiant de compétences particulières dans le secteur du sport et des loisirs (le porté « rendait compte à son employeur de ses prestations et recevait régulièrement de sa part des instructions écrites » ; « il lui était imparti des consignes strictes et précises quant aux conditions d'exercice de ses missions et au début de chaque nouvelle mission, il lui était remis une fiche d'instruction générale de poste impliquant un contrôle hiérarchique incompatible avec l'exercice libéral de son activité sportive »). (29) « Afin de suivre précisément l'activité des salariés qu'elles emploient, les sociétés de l'UES ont mis en place des rapports d'activité à périodicité au moins mensuelle, à remplir par chaque consultant, relatant les heures ou jours travaillés (jours de réalisation de mission M ou jours de développement D) avec indication du lieu et du type d'activité, accompagnés des frais professionnels de la période. Ces documents, signés par le consultant et approuvés (après d'éventuels ajustements) par la direction de la société, acquièrent valeur contractuelle et servent de référence pour l'établissement des paies (salaire garanti au contrat uniquement) et des remboursements de frais » (accord UES Altorem). (30) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, « Droit du travail », 22ème édition, Dalloz 2004, n° 132, p. 201 ; A. Supiot, « Les nouveaux visages de la subordination », Dr. soc. 2000, 131. (31) F. Riquoir, « Le portage salarial », SSL, 20 novembre 2000, n° 1004 ; N. Côte, « Le portage salarial : entre innovations et dérives », JCP 2002, éd. E. 1599. (32) Critère dégagé par l'important arrêt Hebdo-Presse, ass. plén. 18 juin 1976, D. 1977. 173, note A. Jeammaud. (33) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, « Droit du travail », 22ème édition, Dalloz 2004, n° 121, p. 183, note 5 ; J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto, R. Lafore, R. Ruellan, « Droit de la Sécurité sociale », 15ème édition, Dalloz 2005, n° 599 s. Sur la question de savoir si le lien de subordination entraînant affiliation au régime général des salariés est celui-là même qui caractérise le contrat de travail, v. également J.-J. Dupeyroux, « À propos de l'arrêt Société générale », Dr. soc. 1996, 1067. (34) Traité de droit du travail, tome 1, collection « Droit fondamental », PUF, n° 46. (35) Il n'est pas exclu en effet qu'un lien de subordination puisse être établi, non pas entre le travailleur porté et la structure de portage, mais entre le travailleur porté et le bénéficiaire de la prestation de travail (autrement dit le client). Dans ce cas, l'activité de la structure de portage est assimilable à celle des entreprises de travail temporaire, et répréhensible à ce titre. (36) Précis Dalloz, n° 138, p. 213. (37) L'article L. 311-2 du Code de la Sécurité sociale fait écho aux dispositions du Code du travail en rattachant au régime général la plupart des catégories professionnelles en cause. (38) S. Brissy, « L'application du droit du travail aux travailleurs indépendants un régime juridique cohérent ? », JCP (S) 2006, n° 5, 1093 ; F. Gaudu, « L'application du droit du travail à des travailleurs non salariés », Revue juridique d'Ile-de-France, Dalloz 1996, pp. 163 s. (39) « La condition juridique d'un travailleur à l'égard de la personne pour laquelle il travaille ne saurait être déterminée par la faiblesse ou la dépendance économique dudit travailleur » (arrêt Bardou, 1931). (40) J. Hauser, « Une notion juridique de dépendance ? », Mélanges, J. Pélissier, Dalloz 2004, p. 283. (41) G. Virassamy, « Les contrats de dépendance : essai sur les activités professionnelles exercées dans une dépendance économique », Bibliothèque de droit privé, LGDJ 1986, p. 141. (42) La profession n'est pas l'angle sous lequel les professionnels du portage s'identifient le mieux. Le plus souvent, il s'agit de « consultants » réalisant des prestations intellectuelles de préférence à forte valeur ajoutée, mais le mot est encore trop large pour identifier une catégorie professionnelle déterminée et ne couvre pas l'ensemble des compétences développées sous forme de portage (portage également dans les métiers du bâtiment, dans la négociation immobilière, dans la coiffure...). En pratique, ce sont les domaines d'intervention (coaching, communication, environnement, finance, formation, informatique, logistique...), ainsi que la « technique » utilisée, qui sont le plus souvent mis en avant pour « vendre » le portage, bien plus que le « métier » des travailleurs portés. Le parallèle avec le travail temporaire est ici particulièrement intéressant : à l'origine, l'activité des entreprises qui se livraient à de la mise à disposition de personnel à titre lucratif n'était pas non plus considérée comme une profession, encore moins comme une activité licite... elle l'est pourtant devenue (art. L. 124-1 C. trav.). (43) Le portage met en effet l'accent sur un problème de fond soulevé depuis plusieurs années par la doctrine : « Les nouvelles technologies et les nouvelles formes de management ou la diversification des modes de mobilisation du travail, induisent une transformation des formes de la subordination, semblent multiplier les formes intermédiaires entre salariat et travail indépendant, et commandent de repenser certaines solutions acquises ». Précis, Droit du travail, 22ème édition, Dalloz 2004, n° 122, p. 187. Th. Aubert-Monpeyssen, « Les frontières du salariat à l'épreuve des stratégies d'utilisation de la force de travail », Dr. soc. 1997. 616 ; M.-L. Morin, « Partage des risques et responsabilité de l'emploi - Contribution au débat sur la réforme du droit du travail », Dr. soc. 2000, 730 ; « La subordination dans le travail » (dir. J.-P. Chauchard et A.-C. Hardy-Dubernet), Doc. Française, Cahier Travail et Emploi, 2003 ; « Les nouvelles frontières du travail subordonné » (dir. H. Petit et N. Thévenot), Éditions La Découverte 2006. (44) Syndicat national des entreprises de portage salarial. (45) « Le portage salarial : fraude ou forme d'emploi innovante » colloque université de Nantes, Laboratoire Droit et Changement social, 22 juin 2007. (46) Cette responsabilité découle cependant de l'article 1384, alinéa 5 du Code civil (responsabilité des commettants du fait de leurs préposés), alors même que le lien de subordination entre travailleur porté et structure de portage salarial ne serait pas parfaitement établi. Le lien de préposition nécessaire à la mise en oeuvre de la responsabilité de l'article 1384 al. 5, C. civ. est en effet conçu plus largement que le lien de subordination. M. Fabre-Magnan, « Le droit du travail vu du droit civil : l'unité du droit des obligations », Semaine sociale Lamy, 2002, n° 1095, p. 38. (47) A. Jeammaud, Dr. soc. 1988, p. 593 ; M. Despax, « L'entreprise et le droit », LGDJ 1956 ; G. Lyon-Caen, « Que sait-on de plus sur l'entreprise ? », Mélanges, M. Despax, Presses de l'université des Sciences sociales de Toulouse, 2001. (48) Accord collectif UES ITG, UES AD'Missions, Aclys Concept... (49) Art. L. 125-3 et L. 125-1 C. trav. (50) « Le terme de « portage salarial » que les parties utilisent au présent accord collectif va bien au-delà de son acception habituelle qui n'envisage les sociétés concernées que comme des « employeurs administratifs », alors qu'elles exercent un métier à part entière, celui de conseil et prestataire aux entreprises » (accord collectif UES ITG, Access Étoile). (51) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, « Droit des obligations », Dalloz 2002, n° 610. (52) Cette obligation première qui pèse sur l'employeur de fournir du travail à ses salariés est particulièrement mise en avant dans certains arrêts de la chambre sociale rendus en matière de grève/lock-out (Cass. soc. 18 octobre 1952, Dr. soc. 1953. 32 ; Soc. 24 mars 1971, Dr. soc. 1971. 551, obs. J. Savatier ; Soc. 18 janvier 1979, Bull. civ. V, n° 52 ; Soc. 19 décembre 1983, Bull. civ. V. n° 360 ; Soc. 29 janvier 1991, Bull. civ. V n° 78). Elle justifie sans doute aussi les mesures spéciales mises en place par le législateur lorsque l'employeur, pour des raisons indépendantes de sa volonté, n'est plus en mesure de fournir du travail à ses salariés (chômage technique). (53) Le contrat de prestation de services qui lie le client à la structure de portage est souvent conclu intuitu personae... sauf la particularité que le porté est en principe tiers à ce contrat ! (54) Certaines sociétés de portage laissent plus de chances au porté de trouver de nouvelles missions en lui rémunérant des jours de prospection. Le coût de ces journées est néanmoins entièrement à la charge du travailleur porté, puisqu'il est calculé en fonction du montant des missions précédentes, qui donnent lieu pour ce faire à imputation supplémentaire (en plus des frais de gestion, du montant de l'ensemble des cotisations sociales salariales et patronales...), et de fait à une rémunération moindre. (55) Le travail d'un salarié peut bien sûr consister à rechercher du travail (à prospecter la clientèle). On remarquera cependant que dans le cas du portage, les portés ne se contentent pas de prendre des commandes (cas par exemple des VRP), ils exécutent également les prestations consécutives. On en revient alors à la question de la particulière autonomie de ces professionnels, capables à la fois de trouver les clients et d'exécuter les prestations négociées avec eux, et à la difficile caractérisation dans ces conditions d'un lien de subordination. (56) Même dans les cas de mise à disposition (travail temporaire, associations de services à la personne, groupements d'employeurs...), c'est l'employeur qui fournit en principe le travail à exécuter chez le tiers qui lui en a exprimé la demande. (57) Les travailleurs portés sont parfois mis en réseau, une fois la structure de portage intégrée, et peuvent alors être sollicités pour l'exécution de prestations dont la demande a été exprimée par des clients directement auprès de la structure de portage. V. par exemple le réseau Missioneo, créé par ITG (Institut du temps géré). Le risque consiste alors à trop se rapprocher du mécanisme du travail temporaire... et à être condamné pour marchandage et prêt de main-d'oeuvre illicite. Ex. : Cass. crim. 2 octobre 2001, affaire TSF, n° de pourvoi 01-82290. (58) Cass. soc. 17 oct. 2000, RJS 2000, n° 1285, confirmé par Cass. soc. 14 sept. 2005 ; TGI Nanterre, 8 nov. 1995, D. 1996. 242, note Chauchard (nullité de la clause d'un contrat de travail conclu entre un chauffeur de taxi et la société qui lui loue son véhicule imposant au chauffeur le paiement d'un loyer et de charges sociales dont le montant correspond aux parts salariale et patronale acquittées par l'employeur). (59) D'un point de vue économique, les choses ne sont sans doute pas aussi simples, étant évident que même dans une embauche classique, l'employeur fait ses comptes à partir du coût global du travail (toutes charges comprises) et non à partir du salaire brut qui n'est déterminé qu'en second lieu, ce qui accrédite la thèse selon laquelle les cotisations sociales, salariales et patronales, pèsent de toutes façons toujours sur le salarié. V. J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto, R. Lafore, R. Ruellan, « Droit de la Sécurité sociale », 15ème édition, Dalloz 2005, n° 140 s., La charge des cotisations sociales. (60) Précis Dalloz Droit du travail n° 117. (61) Jeu des affaires aidant, le critère de la fourniture du travail par l'employeur, s'il était retenu, ne devrait pas être utilisé de façon trop absolue. Dans un contrat de travail, c'est l'employeur qui doit fournir principalement le travail à effectuer, ce qui n'exclut pas que, par effet d'entraînement, un salarié performant puisse par moments apporter ses propres affaires et en faire bénéficier l'entreprise qui l'a recruté. (62) Cette opportune conciliation d'intérêts échappe parfois au juge, comme l'illustre la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Paris (jugement du 10 novembre 2004), saisi par un porté qui s'était vu refuser par l'Assedic l'ouverture de droits au chômage au motif d'« absence de contrat de travail ». Décidé à faire reconnaître l'existence du contrat de travail par un juge (et, fort de cette décision, de reformuler sa demande), le porté assigne la structure de portage devant le juge prud'homal, lequel prend acte de l'existence d'une relation de travail entre les parties, fondée sur le fait que la structure de portage ne contestait pas la relation de travail ayant existé entre elles... et produisait tous les documents de nature à matérialiser l'existence de cette relation (contrat de travail, fiches de paie...) ! Pour un jugement du même type qui s'appuie sur l'énoncé formel des documents présentés par les parties pour reconnaître l'existence d'un contrat de travail et ouvrir à l'intéressée des droits à l'AGS, v. conseil de prud'hommes de Rambouillet, 3 juin 2005 (formatrice licenciée pour motif économique d'une structure en liquidation). (63) La situation actuelle peut paraître « injuste » au regard du fait que les seules structures de portage « exposées » au risque juridique sont celles qui se font connaître en tant que telles... tandis que se développent librement des pratiques non déclarées, difficiles à contrôler, dont il y a tout lieu de penser qu'elles sont les plus nombreuses. (64) Ceci pose la question difficile mais essentielle du contrôle et des moyens que les pouvoirs publics sont prêts à se donner pour contrôler ces pratiques. Dans quelle mesure par exemple les Assedic sont-elles en mesure d'identifier parmi les travailleurs privés d'emploi qu'elles indemnisent, ceux qui sont passés par la technique du portage ? (65) Cette ambiguïté ressort particulièrement d'un jugement correctionnel du TGI de Grenoble rendu le 19 mars 2001, qui condamne deux gérants d'une société de portage pour délit de marchandage (art. L. 125-1 C. trav.), mais en faisant une application modérée de la loi pénale « tenant compte du fait qu'en dépit de leur obstination coupable (l'activité de portage salarial avait été poursuivie même après mise en demeure d'y mettre un terme), ils restent porteurs d'un projet d'entreprise utile allant au-delà de la simple mise à disposition d'une main-d'oeuvre hautement qualifiée, par la formation et l'information des travailleurs qui ont recours à leurs services et par la synergie qu'ils suscitent entre eux ; que ce projet n'est nullement incompatible avec la réglementation applicable aux entreprises de travail temporaire et contribuerait au contraire à rénover heureusement les pratiques dans un sens au demeurant expressément voulu par le législateur ».

Articles similaires
Commentaires